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L'industrie du luxe, les marques et le monde en dessous

Updated: Nov 23, 2020

Ce court article est une réaction à une étude intéressante intitulée “Quelles pistes de développement pour l’industrie du luxe ?” de Gilles Auguste et Hubert Jesel. L’étude est axée principalement sur les développements commerciaux, physiques et digitaux ainsi que les transformations nécessaires suscitées par la récente pandémie. Vous retrouverez le lien en bas de page.


C’est en voulant commenter après la lecture du post partagé par Gilles sur LinkedIn que je me suis que je me suis rendu compte que le sujet de la chaîne d’approvisionnement de joaillerie me tenait tout particulièrement à coeur et ce, depuis quelques années. En tapant l’ébauche de mon commentaire, j’ai très vite atteint le nombre de caractères maximum et du coup, j’en ai fait cet article!

Ceci n’est ni une éloge de la fabrication ni celle des marques mais plutôt un constat social qui est bien trop peu documenté et peut-être également un appel au secours pour mes collègues à la fabrication.


Travaillant entre marques et fabricants, en Europe et en Asie, je ne peux que constater la réalité d'une industrie du luxe à deux vitesses avec d'une part, sous la lumière, des budgets colossaux gérés par des professionnels de la communication et d’autre part, des professionnels de la fabrication travaillant avec des marges de plus en plus restreintes.

Ces grands noms ont su séduire de façon phénoménale la planète entière et peu se rappellent le temp où les marques de luxe telles que nous les connaissons aujourd'hui n’existaient pas encore. Issue d’une famille de sertisseurs et de fabricant parisiens, j’ai bien pu constater l’évolution des discours et des pratiques en France mais également par la suite, avec mes collaborateurs en Asie qui ont, eux aussi, vu leurs vies changer. Mais c'est à l'arrivée d'internet que tout s'est accéléré.


Internet, l'accélérateur d'une distanciation


Là où les marques ont réussies en s’armant lourdement en moyens de communication et de gestion des finances et logistique; le monde de la fabrication, lui, n’a pas su réagir suffisamment vite. Et, plus important encore, le monde de la fabrication, lui, n’a pas vu l’arrivée, à son niveau, d'une technologie aussi disruptive qu’a pu l'être et est toujours, Internet. Nul outil de production n'a pu fournir, aux ateliers de joaillerie, un gain en productivité comparable à ce qu'internet a pu fournir aux marques en performance de vente. Il est important de garder en tête que la majeure partie des bijoux sont toujours fabriqués de façon plus ou moins ancestrale (fonte à cire perdue, invention maintenant multi millénaire), rattrapés et assemblés à la mains. Evidemment, les outils ont évolués avec les moteurs électriques, le laser et l’impression 3D mais globalement, sur les grandes lignes, ce sont toujours les mêmes méthodes de fabrication. Et pour preuve, les outils de mon grand-père (limes, scies, fraises, échoppes…) sont toujours utilisés aujourd’hui; nous parlons d'un siècle de différence là!

Pour imager autrement, ces outils ont été créés avant que l'électricité ne soit une commodité en Europe, la TV (même en noir et blanc) n'existait pas et le réfrigérateur marchait avec un pain de glace à l'intérieur.



Alors, d’un côté nous avons des entreprises de création et communication avec des marges très importantes et tout un écosystème de services et de d’innovations et de l’autre, le monde de la fabrication avec des marges de plus en plus serrées, grâce notamment au fameux “cost breakdown”, des devis dévoilant, de façon plus ou moins exacte, les coûts des matériaux, fournitures et de la mains d’oeuvre et permettant comparaisons et mises en concurrence des fabricants.


Évidemment, grâce aux marques, les produits sont de plus en plus beaux et ce, à des prix compétitifs. En revanche, la politique du flux tendus et serrage maximal des coûts, font que les fabricants sont de moins en moins fortunés, les ouvriers évoluent de moins en moins techniquement et financièrement et l’attrait des emplois manuels est de plus en plus faible.


Les conséquences sur la main d'oeuvre


Pourquoi moins d'évolution si la production augmente me diriez-vous? Simplement parce que, sous pression de délais courts et de budgets très serrés, la fabrication doit être simple et rapide. Pour cela, le mieux est la fonte et nous voyons donc une armée de jeunes joailliers sortir d'école rêvant de challenges artisanaux voire même de création pour ensuite aller "gratter des fontes", tâche qui ne demande que des compétences techniques joaillières basiques et peu ou pas de créativité. C'est également une tâche répétitive, moins gratifiante au niveau personnel en comparaison à une fabrication manuelle du début à la fin.

Quel que soit le pays aujourd'hui, la main d’oeuvre qualifiée ET motivée semble se raréfier. Par “motivée”, j’entends une main d’oeuvre avec des rêves, un projet de carrière, une réelle intention d’apprendre un métier et pourquoi pas d’expérimenter et d’innover.

Or malheureusement, le monde du digital a pris le pas sur les rêves des nouvelles générations et ce, à juste titre. Les marques, les médias, les startups font rêver de plus en plus de jeunes et ce sont autant de talents, d’intelligence et de rage de vaincre qui n’ira pas au monde de la production. L'ombre des marques sur les chaînes de productions inflige donc une double peine sur ces dernières qui non seulement ont dû mal à attirer de nouveaux talents mais ont également du mal à les garder.

Outre le fait de satisfaire le consommateur avec de beaux produits au prix juste et d’offrir de belles expériences, il est important de savoir promouvoir les talents derrière ces produits d’exceptions. Et il ne s’agit probablement pas de montrer un atelier flambant neuf dans un quartier d’exception (qui d'ailleurs ne dupe personne sur le fait que la majorité des produits soient fabriqués ailleurs) ou de conter une histoire émouvante de l’héritage ancestral d’une petite famille issue d’un milieu défavorisé.

Je pense que le vrai challenge des grandes marques de luxe réside maintenant dans la réelle “durabilité” des chaînes d’approvisionnement et la cultivation du rêve à tout niveau de la chaîne. Il faut créer l'environnement nécessaire afin de permettre à de nouveaux talents de se trouver, se réaliser, d’innover et d’élever d’autant plus cette industrie exceptionnelle mais bien trop secrète.


Gilles et Hubert mentionnent également très justement les dispositifs de développements durable mis en oeuvre par les marques et à ce propos, un post que M.Jeffery Bergman a posté sur LinkedIn cette semaine m'a marqué et il met tout à fait en évidence, là encore, une autre réalité que la culture Occidentale semble régulièrement oublier et qui est à considérer très sérieusement lorsque nous entreprenons de changer une industrie.


"we frequently encountered happy and healthy children who enthusiastically attended local village schools. Not likely to ever be able to participate in a digital mine-to-market “responsibly sourced” supply chain, the Western jewelry trade is gradually squeezing out these already marginalized small scale artisanal operations by imposing our holier-than-thou morality on the poorest of the poor."

Traduction:

"Nous croisions régulièrement des enfants partir à l'école locale du village, heureux et en bonne santé. Ils ne seront probablement jamais capable de participer à une chaine d'approvisionnement digitale mine-to-market (directe mine à consommateur) sourcée de façon éthique. Le commerce de la joaillerie occidental étouffe graduellement ces operations artisanales à petite échelle, déjà marginalisée, en leur imposant notre morale sur les plus pauvres des pauvres."



Lien vers l'étude de Gilles Auguste et Hubert Jesel pour TNP Consultant

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